Tatiana (23), Inge (45) et moi, nous nous connaissons déjà. Toutes les trois, nous nous sommes rencontrées un soir de la fin juin et, pour Tatiana et moi, c’était le premier contact ‘live’. Nous étions en quête de compagnons d’infortune, de gens sachant vraiment ce qu’est la STB. Car nous savons toutes les trois combien il peut être réconfortant de rencontrer des gens à qui il ne faut pas tout expliquer, des personnes dont les expériences sont comparables aux nôtres. Tatiana et Inge se sont trouvées via le groupe Facebook lancé par Ann Godrie, bien longtemps avant l’apparition de be-TSC, mais il y a déjà un certain temps qu’elles ne se sont pas croisées. Elles sont contentes de se revoir.

Quel âge aviez-vous quand le diagnostic de STB est tombé?
Inge: "J’avais 18 ans et demi, des projets de mariage et un grand désir d’enfant. J’ai pris rendez-vous chez un dermatologue, à cause des ‘papules’ qui  me défiguraient. C’est là que tout a commencé. Je croyais m’en sortir avec une pommade, mais je m’étais trompée…
Tatiana: "J’avais 19 ans, je pense, et j’étais en première année de Management Assistant (Haute École PXL). Lors d’un bbq chez mon frère, j’ai senti une violente douleur dans le bas du dos. Ça ne s’est pas amélioré, au contraire. Au bout d’un certain temps, je n’en pouvais plus: assise, couchée, debout, j’avais mal tout le temps. J’ai fini par me retrouver aux urgences à Genk. Mais il m’a encore fallu plusieurs mois pour apprendre qu’il s’agissait de la STB. "

Vous n’aviez constaté aucun symptôme de la maladie avant cet âge?
Tatiana: "
Je me souviens qu’à l’école primaire, les autres se moquaient de moi à cause des ‘boutons’ (angiofibromes) sur mon visage. Dans le secondaire, j’ai eu mal à la tête pendant un an, ce qui m’a valu d’être souvent absente de l’école. Mon médecin attribuait cette céphalée au stress, mais je n’avais rien d’une ado stressée, je n’avais aucun souci…  Depuis lors, il est apparu que j’avais aussi des tumeurs au cerveau. Peut-être y avait-il un rapport…"
Inge: "J’ai toujours eu un mauvais sommeil, je me réveillais à tout bout de champ… Par après, il s’est avéré que mon cerveau était depuis longtemps le siège d’une activité épileptique..."

Après le passage de Tatiana aux urgences de Genk, les examens ont révélé de petites tumeurs (angiomyolipomes) sur ses reins. , mais Le  le médecin n’était pas fixé. Il avait pensé à la Sclérose Tubéreuse, mais la confirmation nécessitait une analyse de sang. Bien que le médecin le lui ait déconseillé, Tatiana s’est renseignée sur internet. C’est ainsi qu’elle est tombée sur le groupe STB sur Facebook et est entrée en conversation avec Ann Godrie. Une chance pour elle, car, ayant appris que l’UZ Leuven se spécialisait dans la STB, elle a décidé de prendre rendez-vous.
“Dès ce premier rendez-vous, raconte Tatiana, le médecin louvaniste m’a dit d’emblée: je n’ai pas besoin d’examens supplémentaires pour confirmer le diagnostic.” Les angiofibromes de Tatiana, combinés aux problèmes rénaux déjà constatés, étaient des symptômes suffisamment révélateurs. Trois mois avant les résultats de l’analyse de sang génétique, elle était donc sûre du diagnostic. Quant à l’analyse de sang, elle n’a rien donné: “Je suis une des rares personnes atteintes de STB chez qui aucune mutation des gènes TSC1 ou TSC2 n’a été constatée, explique Tatiana. Si je ne m’étais pas adressée à des médecins spécialisés dans la STB, le diagnostic se serait peut-être fait attendre indéfiniment! Car, sur la base de l’analyse de sang, mon médecin aurait peut-être laissé tomber la piste de la STB…”

Chez Inge, l’ambiance est intime et confortable, et les pâtisseries maison délicieuses. J’ai devant moi deux jolies femmes, sans la moindre trace de la maladie.
“Grâce à la pommade à la rapamycine, je suis débarrassée des traitements au laser, si désagréables, pour mes angiofibromes”, précise Inge. Cette pommade, elle l’a découverte lors d’une journée des familles de la Stichting Tubereuze Sclerose Nederland. Intéressée, elle en a profité pour confier désormais son suivi médical à un hôpital employant des médecins spécialisés dans la STB (en l’occurrence l’UZ Brussel). “C’est pratique, affirme Inge, car tous les examens y sont organisés en une seule journée. Une seule fois, j’ai eu de la malchance. Le dernier examen était un examen ophtalmologique. Mais, comme les gouttes pour les yeux dilatent les pupilles, j’ai dû patienter trois heures avant de pouvoir reprendre le volant et rentrer chez moi…” Si Inge a le courage d’en rire, c’est que le suivi dont elle bénéficie lui donne toute satisfaction, tout en ayant un impact aussi limité que possible sur sa vie quotidienne.

Le visage de Tatiana n’est pas non plus marqué par la STB. À cause de ses tumeurs rénales, elle prend depuis quelques années du votubia, un médicament à base de rapamycine, qui inhibe la croissance des angiomyolipomes. Je lui demande si les effets secondaires du traitement sont importants.
Tatiana: "J’ai beaucoup plus de mal à me concentrer. Je m’en suis rendu compte dès que j’ai commencé à prendre ce médicament, au cours de ma deuxième année à la haute école. J’ai eu beaucoup de mal à terminer mes études, même si tout a fini par s’arranger."

L’état de vos reins s’est-il stabilisé? Avez-vous encore besoin de soins aigus?
Tatiana: "Non, mes reins vont bien. Mais, il y a deux ans, j’ai dû interrompre mes vacances pour me faire soigner. J’étais en Sicile, où je comptais passer trois semaines de vacances, mais j’ai de nouveau ressenti des élancements dans le bas du dos. J’ai paniqué. Je me suis retrouvée dans un hôpital où personne n’avait jamais entendu parler de la STB, où je ne parvenais pas à me faire comprendre, et où je n’étais pas sûre de ce qui m’arrivait. On m’a mise sous antibiotiques, par crainte d’une infection, mais pas question de poursuivre mon voyage. Au bout de six jours, j’étais de retour à la maison. Mais, quand j’ai été à la consultation, à Louvain, les médecins n’ont pas réussi à déterminer si j’avais eu une infection ou un problème de STB. L’été prochain, je retourne en Sicile… Je veux dédramatiser ces mauvais souvenirs, cesser de ruminer mon séjour à l’hôpital et la panique que j’ai éprouvée…"

Parvenez-vous à oublier la maladie la plupart du temps?  Avez-vous l’impression qu’entre les consultations, vous pouvez mener une vie relativement ‘normale’?
Inge: “Je mène volontairement une vie très régulière, ce qui m’oblige à faire l’impasse, socialement parlant, sur un certain nombre d’activités. J’ai vraiment besoin de calme et de régularité. Bien que je ne fasse pas de crises d’épilepsie, les journées trop chargées et l’excès de stress ont quand même un effet épileptogène. Le soir, il m’arrive alors de ne plus fonctionner. J’ai du mal à expliquer ce phénomène, mais tout se passe comme si je ‘tombais en morceaux’. En pareil cas, quand des amis m’invitent à un concert, par exemple, dans un endroit où il y a beaucoup de gens, de lumière et de bruit, je suis obligée de dire ‘non’. Une fois, j’ai voulu passer outre, parce que je suis hyper fan du groupe qui passait à Genk, mais les lumières stroboscopiques m’ont mise K.O. J’étais comme paralysée, et mon ami a dû me ramener à la maison. Ce sont des choses qu’on n’oublie pas. Dans beaucoup d’activités sociales, je ne parviens plus à être totalement détendue…”
Tatiana: “J’ai toujours été une mauvaise dormeuse. Pendant la journée, je me fatigue souvent et vite. J’essaie aussi de vivre aussi paisiblement que possible, de ne pas me coucher trop tard, de miser sur la régularité. Mais, vis-à-vis des amis et de la famille, ce n’est pas toujours facile… Je suis jeune et, extérieurement, rien ne trahit ma maladie. Tout le monde ne peut pas comprendre ce que je subis. Moi-même, j’ai parfois des doutes: ma fatigue est-elle vraiment due à la maladie, ou suis-je tout simplement paresseuse? Quand il m’arrive de tomber endormie en pleine journée, je me pose des questions sur moi-même…”

Inge

Votre entourage comprend-il l’impact de la STB sur votre vie? De toute évidence, la réponse n’est pas facile!
Inge:
“Au fil des ans, je me suis heurtée à l’incompréhension de nombreuses personnes. Mon ancien partenaire avait du mal à s’y faire, il aurait voulu que je pratique davantage le lâcher-prise. Mais ce diagnostic, qui a fracassé mon désir d’enfant, m’a bouleversée émotionnellement. D’autant que je suis, de nature, quelqu’un de très émotif. Beaucoup de gens s’en rendent compte et, dans une certaine mesure, ils s’en réjouissent pour moi. “Heureusement que tu es extravertie, me dit-on. Comme ça, au moins, tu ne gardes pas tout ça pour toi!” L’impact de la STB sur ma vie a renforcé certaines de mes amitiés; d’autres, par contre, restent très superficielles, parce que les gens préfèrent ne pas parler de la STB ou ne veulent pas faire l’effort d’essayer de comprendre…”
Tatiana: “Je constate aussi cette tendance des gens à éviter le sujet. À ne pas vraiment vouloir entendre toute l’histoire de la maladie. Ceci dit, c’est assez compliqué. Je n’ai aucun signe visible de la maladie. Du coup, ces dernières années, quand je manquais les cours, les gens ne faisaient pas nécessairement le lien avec un problème médical. Ils se font des fausses idées fausses. Ce n’est pas très agréable à vivre…”

Nous abordons ensuite la question du groupe Facebook. Inge nous confie combien elle a apprécié, il y a quelque temps, d’échanger avec d’autres adultes confrontés, comme elle, à de petites tumeurs autour des ongles des pieds et des mains: “C’est très étrange de découvrir tout à coup que vous n’êtes pas la seule! Que d’autres connaissent la douleur associée à la résection de ces tumeurs. C’est une surprise – une bonne surprise…”

Tatiana: 'graduation'!

Il se fait tard. À plusieurs reprises, j’ai fait mine de partir, mais l’envie de parler a été la plus forte… Finalement, je réussis à remonter en voiture, heureuse de cette agréable soirée, mais aussi profondément touchée par l’histoire de ces deux femmes qui ont besoin d’une bonne dose de volonté et de persévérance pour faire ce qui va de soi pour les autres. Quelques jours plus tard, j’aurai le plaisir d’apprendre, de nouveau sur Facebook, que Tatiana a décroché son diplôme. Des études terminées avec succès, ça mérite des félicitations, auxquelles Inge et moi nous associons avec enthousiasme!